L’émergence de la silicose des travailleurs de la pierre artificielle en Espagne. Le défi de nouveaux risques pour les politiques de santé au travail
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URI: https://hdl.handle.net/10481/88589Metadatos
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Presses des MINES - TRANSVALOR
Materia
Sílice cristalina respirable Aglomerados de cuarzo Enfermedad profesional España
Fecha
2020Referencia bibliográfica
In: Catherine Cavalin, Emmanuel Henry, Jean-Noël Jouzel et Jérôme Pélisse (Dir.), Cent ans de sous-reconnaissance des maladies professionnelles (1919-2019)
Resumen
Une « épidémie de silicose » : c’est ainsi que la presse généraliste aussi bien que des articles de recherche en sciences du vivant ont désigné le phénomène qui a affecté, depuis les années 2010 surtout et dans plusieurs pays, des travailleurs fabriquant et usinant des matériaux d’aménagement et de construction à haute teneur en silice cristalline. Connus sous les noms commerciaux de marques déposées, associés à ceux des grandes firmes multinationales qui les produisent et les vendent, ces matériaux sont également désignés sous les noms triviaux d’« agglomérés de quartz », de « pierre(s) artificielle(s) » ou « reconstituée(s) », ou encore de « quartz de synthèse ». Depuis la décennie 1990, leur notoriété repose principalement sur leur usage comme constituants de plans de travail installés par des cuisinistes au domicile des particuliers. Moins glorieuse, leur notoriété se signale aussi, surtout depuis les décennies 2000 et 2010, par le fait que des milliers de travailleurs qui à un titre ou un autre manipulent ces matériaux sont atteints d’une silicose à la fois tristement homogène d’un pays à l’autre, et inattendue au regard des connaissances médicales sur cette maladie. Réputée depuis 1930 frapper quasi-exclusivement des mineurs de fond sous une forme chronique, contractée au long cours par des expositions modérées à la silice cristalline, la silicose se présente ici sous une forme dite « accélérée », touche des hommes jeunes et en pleine santé, souvent non-fumeurs, travaillant le plus souvent dans des ateliers de marbrerie de taille modeste où leurs durées d’exposition cumulées à la silice sont courtes (souvent moins de dix ans, parfois quinze tout au plus). Cette « épidémie de silicose » se manifeste comme un problème public, aujourd’hui pris en charge comme tel par diverses autorités (gouvernements, agences sanitaires nationales, organismes régionaux de santé, services de santé au travail, réseaux de veille sanitaire) qui interviennent dans la définition et la mise en œuvre des politiques sanitaires des pays concernés. Ce problème public s’organise au carrefour de plusieurs phénomènes : a) l’existence d’un circuit de production et de commercialisation mondial par des firmes multinationales dont les deux principales sont espagnole et israélienne ; b) une extension mondiale de l’épidémie au sens où les cas de silicose accélérée (mais aussi de nombreux cas de maladies auto-immunes) sont déclarés en Israël, en Italie, aux États-Unis, en Australie, en Espagne… et dans d’autres pays encore ; c) une littérature internationale en médecine, toxicologie et épidémiologie, tôt développée et qui a contribué à renouveler et élargir le regard – historiquement cantonné à un périmètre réducteur – porté en sciences expérimentales et en sciences du vivant sur les risques sanitaires des expositions à la silice cristalline ; la question, enfin, posée aux systèmes nationaux de protection sociale, de savoir comment intégrer une redéfinition du « risque silice » dans les circuits sanitaires et administratifs assurant la reconnaissance et l’indemnisation des maladies professionnelles. Le cœur de ce chapitre portera sur le cas espagnol, dont nous tâcherons de faire comprendre les caractéristiques propres ainsi que la dynamique qu’il entretient avec l’échelon mondial de « l’épidémie » et de la production scientifique dont elle fait l’objet, au-delà de l’Espagne. Chemin faisant et au terme de notre analyse, nous commenterons l’absence relative de la France dans l’épidémie considérée ici, ainsi que la manière (paradoxale) dont intervient l’échelon européen, celui de la réglementation des niveaux d’exposition professionnelle à la silice cristalline. A 'silicosis epidemic': this is how the general press and articles in the life sciences have described the phenomenon that has affected workers manufacturing and machining building materials with a high crystalline silica content, especially since the 2010s and in several countries. Known under the trade names of registered trademarks, associated with those of the large multinational firms that produce and sell them, these materials are also referred to under the trivial names of 'quartz agglomerates', 'artificial stone(s)' or 'reconstituted stone(s)', or 'synthetic quartz'. Since the 1990s, their reputation has been based mainly on their use as components in worktops installed by kitchen designers in private homes. Less glorious is the fact that, especially since the 2000s and 2010s, thousands of workers who handle these materials in one way or another are suffering from silicosis, which is both sadly homogeneous from one country to another and unexpected in the light of medical knowledge about this disease. Known since 1930 to affect almost exclusively underground miners in a chronic form, contracted over the long term through moderate exposure to crystalline silica, silicosis appears here in a so-called 'accelerated' form, affecting young men in good health, often non-smokers, most often working in small marble workshops where their cumulative exposure to silica is short (often less than ten years, sometimes fifteen at most). This 'silicosis epidemic' is emerging as a public problem, which is now being addressed as such by various authorities (governments, national health agencies, regional health bodies, occupational health services, health monitoring networks) involved in defining and implementing health policies in the countries concerned. This public problem is organised at the crossroads of several phenomena: a) the existence of a global production and marketing circuit run by multinational firms, the two main ones being Spanish and Israeli; b) a global extension of the epidemic in the sense that cases of accelerated silicosis (but also many cases of auto-immune diseases) are reported in Israel, Italy, the United States, Australia, Spain... and in other countries as well; c) an international literature in medicine, toxicology and epidemiology, developed early on and which has contributed to renewing and broadening the view - historically confined to a limited perimeter - taken in the experimental and life sciences on the health risks of exposure to crystalline silica; finally, the question, posed to national social protection systems, of how to integrate a redefinition of the 'silica risk' into the health and administrative circuits ensuring the recognition and compensation of occupational diseases. The focus of this chapter will be on the Spanish case, and we will try to explain its specific characteristics and the dynamic it maintains with the global level of the 'epidemic' and the scientific production of which it is the subject, beyond Spain. At the end of our analysis, we will comment on the relative absence of France in the epidemic considered here, as well as the (paradoxical) way in which the European level intervenes, that of the regulation of the levels of occupational exposure to crystalline silica.